VI NATIONS 2017 # EQUIPE DE FRANCE # LES SENTIERS DE LA GLOIRE
C’en est fini de cette édition 2017 du tournoi des VI Nations. Elle nous aura permis de traverser cet hiver interminable sans trop d’encombres, en résistant aux perturbations météorologiques (chutes des températures), turbulences politiques (affaire Fillon) et autres soubresauts géopolitiques (La guerre en Syrie, les tensions en Mer de Chine, Donald Trump pour l’ensemble de son œuvre). En parallèle, le rugby hexagonal a décidé de piquer sa crise d’ado. Sa naissance - c'est à dire le début de l'ère professionnel - remonte à 1995. Ça signifie donc que l’animal a aujourd’hui 22 ans, ce qui ne le rend pas vraiment précoce à bien y réfléchir. Il aurait certainement mieux à faire de draguer des meufs ou d'essayer d’être populaire dans son école post-bac financée plein pot par papa-maman. Mais là n’est pas la question. Quelques semaines de recul nous ont permis de développer un regard critique sur la copie rendue par le XV de France pendant ce tournoi. La concurrence n’a peut-être jamais été aussi élevée, et la tâche de cette équipe n’en est que plus ardue. Mais il ne faut pas s’y tromper, et encore moins en douter, les Bleus sont sur les bons rails, ceux qui mènent à la gloire. Explications.
En pagaille, quelques chiffres éclairants sur ce tournoi :
-
2 757 mètres parcourus ballon en main sur l’ensemble du tournoi, soit le total le plus élevé du tournoi ;
-
136 défenseurs battus, soit le total le plus élevé du tournoi
-
57 franchissements, soit le total le plus élevé du tournoi (désolé pour le radotage)
-
8 essais inscrits, soit moins de 2 par match, et le 2ème total le plus faible du tournoi juste devant l’Italie (6). Paradoxal.
-
70 turnovers concédés. 14 par match en moyenne. Bons derniers du tournoi. Le voilà, le chiffre qui vient expliquer le paradoxe précédent.
-
90%. Le taux de réussite des Bleus au plaquage. Un chiffre prometteur à nuancer par le nombre de pénalités concédées (58), le plus élevé du tournoi, loin, très loin derrière l’Irlande, 1ère (35).
-
5 matchs, 1 seule et même charnière. Il faut remonter à 2011 et la dernière année de mandat de Marc Lièvremont pour voir une trace d’une telle stabilité.
-
3. La place des Français à l’issue de ce tournoi, soit 2 places plus haut que l’an dernier.
-
6. Le rang de la France au classement IRB, soit 2 places plus haut que l’an dernier. Et c’est peut-être ça qui importe en fin de compte.
Une troisième place encourageante
Après une tournée d’automne emballante dans le contenu, mais pleine de regrets sur le plan comptable, le tournoi des VI Nations 2017 semble proposer un bilan inversé. Un contenu un peu crispant, mais 3 victoires au compteur. Comme un ying et un yang que l’on ne parviendrait pas à faire coïncider. A cet égard, les prestations contre l’Ecosse et surtout l’Irlande ont de quoi alarmer, compte tenu de leur manque de consistance. Par intermittence, le XV de France a su mettre en place des séquences de jeu intéressantes, avec de l’avancée, des soutiens et des courses tranchantes. Comme ces 20 premières minutes splendides à Dublin. Mais la suite ? 45 minutes de soumission totale, à tenter vainement de résister aux vagues vertes, à s’épuiser de ne pas savoir tenir le ballon, et à finalement se mettre à la faute. Contre l’Ecosse, la France a vaincu certes, mais en bafouillant son rugby, en jouant la peur au ventre. Il a fallu que le pack bleu prenne l’entière mesure de son homologue Écossais pour accrocher la victoire. On sent bien que cette équipe manque encore de leaders, de patrons sur le terrain, de gaillards expérimentés capable de hausser le ton pour remobiliser tous les joueurs et leur permettre de faire face à l’adversité. C’est dans ces manques d’oxygène que l’on reconnait une grande équipe, dans sa capacité à plier sans rompre. L’Angleterre et le Pays de Galles s’en sont fait une démonstration réciproque lors de leur match de titans à Cardiff (15-21).
Aujourd’hui, ces leaders manquent encore en France. Moins de deux ans après la débâcle de Cardiff contre les All Blacks, il est assez normal que les vestiges soient encore très présents. Certains joueurs se sont déjà affirmés en tant que leaders de jeu. Guirado, le capitaine toujours exemplaire, Picamoles, le perforateur, ou encore Fofana, le dynamiteur (dont l’absence s’est faite très présente). A eux maintenant de devenir encore un peu plus des tauliers, des leaders de vestiaires et des vrais meneurs d’hommes, capables d’entraîner tout le monde dans leur sillage.
La compétition au sein du Tournoi s’est encore plus tendue. Hormis l’Italie, qui devient un peu plus gênante chaque année qui passe par l’indigence croissante de son niveau de jeu – et qui a du s’en remettre à jouer avec le règlement pour éviter l’affrontement –, les 5 autres équipes sont très proches en termes de niveau de jeu. L’Ecosse, sous la houlette de Vern Cotter, a énormément progressé, et a empoché deux victoires de prestige à domicile contre les Gallois et les Irlandais. Dommage que cette fessée reçue à Twickenham (21-61) vienne ternir le tableau. Mais cela vient en tout cas nuancer la pénible victoire française au Stade de France contre eux. Les Gallois sont toujours aussi costauds à domicile dans la fournaise du Principality Stadium, mais manquent de solidité en déplacement. Le constat vaut également pour les Irlandais, qui nous ont dominés avec un jeu stéréotypé et frontal sans que l’on puisse y trouver quoique ce soit à redire. L’Angleterre a un temps d’avance, mais a malgré tout beaucoup souffert contre les Gallois et contre nous, avant de plier face aux Irlandais. On peut d’ailleurs nourrir des regrets sur cette défaite à Twickenham vu le nombre d’occasions franches que n’on n’a pas été en mesure de concrétiser. La tendance qui se vérifie sur ce tournoi est celle des victoires à domicile. Seule l’Angleterre est parvenue à remporter un match à l’extérieur (puisqu’on a mis l’Italie de côté) et ce dans les derniers instants du match, contre le Pays de Galles. La compétition est donc bien féroce, et on perçoit assez précisément l’avantage que représente la réception d’un match.
Tout cela pour dire que si le XV de France a pu donner l’impression de patiner, c’est également le cas de ses adversaires. Et c’est aussi en cela que réside toute la beauté et toute la dramaturgie du tournoi.
Sérieux, ce type, ça va vite devenir gênant de constamment devoir lui sucer la teub...
Guy Novès, l'éloge de la stabilité
« Que l’on me donne six heures pour couper un arbre, j’en passerai quatre à préparer ma Hache ». Sans vraiment prétendre élever Guy Novès au rang d’Abraham Lincoln, le parallèle se tente. Avec la Coupe du Monde au Japon dans le rôle de l’Arbre, et le XV de France dans celui de la hache. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper. Seule la victoire est belle, certes, mais il ne faut jamais perdre de vue l’objectif ultime: la coupe du monde. Même rengaine tous les 4 ans. Les tournées et tournois doivent servir de jauges, afin d’étalonner les équipes et que chacune puisse juger le terrain à parcourir pour espérer brandir la coupe William Webb Ellis. Le mandat de Philippe Saint-André fut une antithèse de ce précepte, usant de pansements pour soigner un cancer grandissant qu’il se refusait de diagnostiquer, pour la fin qu’on connaît contre les All Blacks. C’était l’histoire d’une équipe qui tombait. Au fur et à mesure de sa chute elle se répétait sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l'important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Facile à dire après coup ? Peut-être. Mais cela aura peut-être moins servi à son successeur, tant chacune de ses décisions, de ses prises de paroles et de ses pensées semble tournée vers 2019 et le Japon. En bâtisseur, Novès a commencé par construire ses fondations sur les ruines de Cardiff. Il y récupère d’abord les survivants. Guirado, qui devient capitaine, Maestri, Picamoles, Fofana, et Slimani. Il soigne ensuite patiemment les plaies mentales et physiques des blessés. Nakaitaci, Huget, Atonio, Ben Arous et Dulin. Il appose enfin de nouvelles briques à même le sol. Gourdon, Baille, Lamérat, Vakatawa, Serin. Et les pièces commencent à se juxtaposer avec précision et harmonie, bien aidées par le discours et les idées rodées par le chef de chantier. La mayonnaise prend. Les anciens revanchards, et les nouveaux ambitieux marchent dans la même direction, avec un projet commun qu’ils commencent à s’approprier.
Quand la passion l'emporte sur le flegme
Mieux, les coups d’arrêts ne viennent pas (ou plus) remettre en cause ce projet, dans son essence. La foi en cette aventure humaine est puissante. Elle est profonde, pleine d’honneur et d’humilité. La tentation est pourtant parfois forte. Après 2 matchs plus ou moins ratés contre l’Ecosse puis l’Irlande durant lesquels les joueurs se sont faits contrés sur leurs attaques et ont bafouillé leur rugby, le staff aurait pu paraître avisé de revenir à un jeu plus restrictif, plus frontal, pensant que les joueurs n’avaient peut-être pas les qualités pour mettre en place ce type de jeu très ambitieux, au plus haut niveau. Mais les deux matchs suivants ont permis de balayer nos doutes et montré que le staff comptait bel et bien persévérer dans cette direction.
De nombreux joueurs ont débuté tous les matchs. Guirado et Baille en première ligne, Picamoles et Gourdon en troisième ligne, ou encore Fickou, Lamérat et Nakaitaci dans la ligne de ¾ centres. Mais en fin de compte, la reconduction systématique de la charnière Serin-Lopez est certainement la meilleure preuve de la stabilité retrouvée par cette équipe. 6 ans que cela n’était plus advenu. Étonnamment, les critiques ne se sont pas cristallisées sur ces deux joueurs, qui ont pu jouer sereinement, sans subir une pression négative. Novès n’est pas homme à sacrifier ses joueurs sur l’autel des opinions médiatiques. En fin communiquant, il sait parfaitement évacuer la pression des épaules de ses joueurs, à la manière d’un certain José Mourinho. Nul doute que son discours en interne est bien différent, mais les joueurs doivent apprécier, voire se sentir redevable face à cette propension à les défendre bec et ongle. Le baobab « coupe du monde » n’est pas abattu, loin s’en faut, mais la hache pour en venir à bout commence à avoir une certaine gueule. Le polissage est en tout cas bien maîtrisé.
La revue d'effectif - Gourdon et Nakaitaci, les 2 atouts qu'on n'attendait pas à ce niveau
Plutôt que de s’attarder, comme du temps de PSA, sur tous les joueurs, on a décidé de faire ressortir deux joueurs qui ont particulièrement brillé, et qui méritent à nos yeux d’être mis en avant.
Kevin Gourdon, d’abord. Dans la foulée de sa tournée d’Automne monstrueuse, il était attendu au tournant. Bon bah c’est pas ça qui l’a inhibé hein, la pression, il ne connaît pas. Quel talent ! Au final, ce qui est épatant avec ce joueur, c’est que tout paraît normal. Il n’a pas spécialement un physique de déménageur, et il rend le rugby plus humain. Et ça fait franchement du bien. Il s’est envoyé 5 fois 80 minutes dans les jambes sans jamais paraître vraiment dans le dur. Il en est donc à 10 titularisations d’affilée sous le maillot bleu, très sereinement. Je suis pas certain qu’un autre joueur français puisse se targuer du même chiffre. Quasiment déjà un taulier.
Le second, c’est Noa Nakaitaci. Il revient de très loin. Des limbes Galloises de Cardiff pour être précis, où son mental avait été mis en stand by après une charge dévastatrice de Julian Savea. Il a mis du temps à revenir, mais il vient d’enchaîner 7 titularisations avec le XV de France. Alors certes, il n’a pas marqué le moindre essai sur ce tournoi. Il aurait d’ailleurs mérité d’en aplatir un contre les anglais si Lamérat ne l’avait pas oublié à son intérieur en fin de première mi-temps (ce qui nous aurait rapproché d’une victoire très lourde à Twickenham….). Mais ce que les chiffres cachent, d'abord, ce sont ces incalculables duels gagnés. Ils cachent aussi le nombre de mètres parcourus balle en main. Ils cachent ensuite sa capacité à faire vivre le ballon en effectuant de nombreux offlaods. Ils cachent enfin ce sauvetage in extremis contre l’Angleterre, qui vaut 5 à 7 points comptables, et bien plus moralement; et ces deux ballons captés sur renvoi en fin de match contre les Gallois, qui nous font un bien fou. Bien habile, donc, celui qui pourra contester que Nakaitaci est devenu un ailier de classe internationale, loin, très loin devant Vakatawa, Huget et consorts. Sa blessure aux croisés est une véritable tuile. Pour l’ASM, engagé sur 2 fronts, et pour la tournée des Bleus en Juin en Afrique du Sud. D’autant qu'on le sait, face à ce genre de blessure, il est impossible de prévoir combien de temps sera nécessaire pour qu’il revienne à son meilleur niveau (on a coutume de dire qu’il faut autant de temps passé sur le terrain que l’on a été arrêté). On lui souhaite en tout cas un excellent rétablissement.
La suite?
La suite, donc, c’est cette tournée en Afrique du Sud. 3 matchs à jouer face à une équipe en grande convalescence (défaite 18 -20 en Italie en Novembre dernier), qu’il ne faudra pourtant pas sous-estimer, bien évidemment. Le premier match aura lieu une semaine seulement après la finale du Top 14. Les joueurs qui y participeront ne pourront à priori donc pas être de ce premier match. Mais ils seront des deux joutes suivantes. Et le groupe France est assez large pour être compétitif dès le début. Dès lors, l’objectif est clair : rentrer avec trois victoires. Pour enfoncer un peu plus les Sud-Afs. Pour redorer notre blason dans l’hémisphère Sud. Et pour continuer d’aiguiser cette hache.
On va s’en mêlée




